Il attrapa une casserole et y vida la boîte en marmonnant. Dans sa distraction, il ne remarqua pas que la sauce coulait à côté du récipient.
"Me...!" s'écria-t-il en s'en apercevant.
"Grusso, seras-tu donc toujours dans la lune? Réveille-toi! La lettre, n'oublies pas la lettre."
La voix hurlait presque, faisant vibrer ses tympans comme la corde d'une guitare. Grusso se retourna d'un bond et se plaqua contre le mur. Quelle était cette puissance secrète qui lui aboyait des ordres?
"Maman?" risqua-t-il dans un murmure plaintif.
La sauce des raviolis bouillait dangereusement sur le feu. Des effluves de brûlé montaient vers le plafond. Les narines de Grusso semblaient étanches à toute influence extérieure. La voix reprit, grondant le clown qui, pétrifié, se recroquevillait sur le carrelage.
"Maman!"
Cette fois,ce n'était plus une interrogation mais un cri de panique. La volonté de trouver la présence rassurante de sa mère, qu'elle pose une main délicate sur son épaule ou derrière sa nuque le submergea. L'horreur de croiser un fantôme passe-muraille, traversant les cloisons comme on passe une porte.
"Arrête-toi, la voix", susurra-t-il. "Je vais t'obéir. Dis-moi qui tu es. Alors je t'écouterai, oui, tu berceras mon sommeil, tu guideras mes gestes. Je serai ton pantin au nez rouge, je bougerai quand tu actionneras mes ficelles. Je répèterai les mots que tu me glisseras à l'oreille. Je deviendrais aveugle mais je verrai les couleurs que tes yeux filtreront. Tu seras la sonde par laquelle je respirerai l'air que tu voudras bien m'offrir. Par pitié, ne m'effraie plus ainsi."
Grusso avait peur de la peur. C'était un mot qu'il avait effacé de son vocabulaire. Il cherchait toujours le détail drôle dans la tourmente, le détail qui dédramatise auquel il s'accrochait comme à un radeau. Quand il ne trouvait pas cette miette de légèreté, il se voyait mourir de panique, bouffé par les sables mouvants. Cette voix surnaturelle était teintée de malfaisance, rongée d'intentions mauvaises.
Un instant, Grusso crut enfin être tranquille. La casserole de raviolis n'était plus qu'une bouillie carbonisée. Il goûta au silence avec inquiétude. Quand elle lui parla de nouveau, il se retourna d'un bond. Le son de sa voix avait changé. Ses intonations étaient plus douces, mais toujours tâchées de perfidie.
"Qui crois-tu que je sois pour me sommer de te répondre? Ne me dois-tu pas le respect, un minimum de courtoisie? Ta peur m'amuse, je n'ai ici que peu de distractions. Enfermée dans cette baraque, la vie est d'un ennui! La visite d'un homme ne se refuse pas. Je suis celle que tu cherches. Trouve la lettre et tu te rendras à l'évidence. Je ne suis pas ta mère, pas cette femme soumise, mise à genoux par son mari. Moi, je n'ai jamais cessé de lutter. Quand elle baissait les bras, je lui faisais méditer sa vengeance. Lorsqu'elle baissait les bras, je lui redonnais du courage. je suis la femme libre qu'elle était, l'âme de l'être qui t'a enfanté. Aurais-tu peur de découvrir qui elle était, cette femme que tu n'as pas connue autrement que sous le joug des convenances? T'aurait-elle manqué ou te fait elle peur, elle, à l'image de tes fantasmes? C'est moi que tu es venu chercher, Grusso. je ne peux te dire où je suis. Franchis chaque étape, garde la tête froide et tu parviendras à moi. Ne me fuis pas, Grusso. N'aie pas peur. Il n'y a plus que toi qui mérite ici de me connaître. "
Cette fois, Grusso n'avait plus peur. Il redevenait un jeune garçon émerveillé, retrouvait en lui la force qui l'avait jusque là poussé vers l'avant. Sa soif de découverte, sa curiosité vorace reprenaient le dessus. Il saurait palper des doigts cette inconnue, la rassurer pour qu'elle se dévoile un peu plus. Muet comme une carpe, il ne dirait mot du secret à personne.
jeudi 21 août 2008
dimanche 17 août 2008
*** (musique: Rammstein)
"Idiot, idiot, idiot", répéta-t-il en pleurnichant et en se tapant sur le crâne. "Idiot", lui disait sa mère en lui caressant les cheveux lorsqu'il faisait une nouvelle bêtise. Mais elle était partie, il n'y avait plus de tendresse. Grusso était furieux contre lui-même, il avait perdu tout sang froid. Ses sanglots résonnaient dans la maison silencieuse. La porte de l'armoire grinça, Grusso se tut. Il observa par terre les tenues de sa mère, l'imaginant tour à tour derrière ses fourneaux, dans son tablier à fleurs, puis à l'église avec son feutre noir piqué d'une rose artificielle.
Ses yeux s'arrêtèrent sur une culotte en dentelles, il esquissa un sourire gêné en l'attrapant du bout des phalanges. Il ne put résister çà l'envie de la faire tourner entre ses mains. Il la reposa délicatement, en se demandant quel homme avait pu l'offrir à sa mère. Il n'avait jamais posé de questions, deviner quel type de femme elle avait été ne lui avait alors pas traversé l'esprit. Grusso respirait plus lentement, il commençait à se calmer. Il roula les vêtements en boule et les jeta sur les étagères. Il se massa douloureusement le front, un bleu s'y formait déjà.
"Reprenons méthodiquement", dit-il à voix haute pour tromper sa solitude.
"Qu'est ce qu'il a dit l'autre déjà?"
"La lettre est le début du chemin, le reste est derrière la porte", aboya une voix qui semblait venir de l'extérieur.
Grusso ne fut pas surpris et poursuivit son monoloque intérieur.
"Retourne-toi!"
"Ah non, le notaire n'a pas dit ça, je m'en serait souvenu!"
"Retourne-toi", répéta une voix féminine sur un ton qui ne lui laissait plus le choix.
"Oui, ça va, je me retourne", obtempéra-t-il.
Il n'y avait dans son champ de vision qu'un bureau, installé là depuis des années. Peut-être même était-il plus vieux que lui. Ne lui trouvant aucun intérêt, Grusso reporta son attention sur l'armoire et cette lettre, ses seuls indices pour dénicher une piste. Et si c'était juste un délire de sa mère, si elle avait inventé le secret de toutes pièces, un ultime salut avant sa sortie de scène? Il était de son ressort de jouer les mauvais tours. Chaque mauvaise blague contient une chute. "Leçon numéro un d'un numéro de clown", se remémora-t-il. "Si maman n'est pas là pour le dénouement, pas de chute donc pas de blague. Je dois chercher encore."
Il sortit de la chambre et s'aperçut qu'il mourait de faim. Grusso descendit à la cuisine et attrapa au hasard une boîte de conserve poussiéreuse. "Ravioli au boeuf, produit bio, sans colorant ni sucres ajoutés" lut-il. "Bonne pioche" Il ne savait réfléchir sereinement qu'en mangeant. Mastiquer lui ouvrait l'esprit.
Ses yeux s'arrêtèrent sur une culotte en dentelles, il esquissa un sourire gêné en l'attrapant du bout des phalanges. Il ne put résister çà l'envie de la faire tourner entre ses mains. Il la reposa délicatement, en se demandant quel homme avait pu l'offrir à sa mère. Il n'avait jamais posé de questions, deviner quel type de femme elle avait été ne lui avait alors pas traversé l'esprit. Grusso respirait plus lentement, il commençait à se calmer. Il roula les vêtements en boule et les jeta sur les étagères. Il se massa douloureusement le front, un bleu s'y formait déjà.
"Reprenons méthodiquement", dit-il à voix haute pour tromper sa solitude.
"Qu'est ce qu'il a dit l'autre déjà?"
"La lettre est le début du chemin, le reste est derrière la porte", aboya une voix qui semblait venir de l'extérieur.
Grusso ne fut pas surpris et poursuivit son monoloque intérieur.
"Retourne-toi!"
"Ah non, le notaire n'a pas dit ça, je m'en serait souvenu!"
"Retourne-toi", répéta une voix féminine sur un ton qui ne lui laissait plus le choix.
"Oui, ça va, je me retourne", obtempéra-t-il.
Il n'y avait dans son champ de vision qu'un bureau, installé là depuis des années. Peut-être même était-il plus vieux que lui. Ne lui trouvant aucun intérêt, Grusso reporta son attention sur l'armoire et cette lettre, ses seuls indices pour dénicher une piste. Et si c'était juste un délire de sa mère, si elle avait inventé le secret de toutes pièces, un ultime salut avant sa sortie de scène? Il était de son ressort de jouer les mauvais tours. Chaque mauvaise blague contient une chute. "Leçon numéro un d'un numéro de clown", se remémora-t-il. "Si maman n'est pas là pour le dénouement, pas de chute donc pas de blague. Je dois chercher encore."
Il sortit de la chambre et s'aperçut qu'il mourait de faim. Grusso descendit à la cuisine et attrapa au hasard une boîte de conserve poussiéreuse. "Ravioli au boeuf, produit bio, sans colorant ni sucres ajoutés" lut-il. "Bonne pioche" Il ne savait réfléchir sereinement qu'en mangeant. Mastiquer lui ouvrait l'esprit.
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