jeudi 21 août 2008

*** (musique: Muse)

Il attrapa une casserole et y vida la boîte en marmonnant. Dans sa distraction, il ne remarqua pas que la sauce coulait à côté du récipient.
"Me...!" s'écria-t-il en s'en apercevant.
"Grusso, seras-tu donc toujours dans la lune? Réveille-toi! La lettre, n'oublies pas la lettre."
La voix hurlait presque, faisant vibrer ses tympans comme la corde d'une guitare. Grusso se retourna d'un bond et se plaqua contre le mur. Quelle était cette puissance secrète qui lui aboyait des ordres?
"Maman?" risqua-t-il dans un murmure plaintif.
La sauce des raviolis bouillait dangereusement sur le feu. Des effluves de brûlé montaient vers le plafond. Les narines de Grusso semblaient étanches à toute influence extérieure. La voix reprit, grondant le clown qui, pétrifié, se recroquevillait sur le carrelage.
"Maman!"
Cette fois,ce n'était plus une interrogation mais un cri de panique. La volonté de trouver la présence rassurante de sa mère, qu'elle pose une main délicate sur son épaule ou derrière sa nuque le submergea. L'horreur de croiser un fantôme passe-muraille, traversant les cloisons comme on passe une porte.
"Arrête-toi, la voix", susurra-t-il. "Je vais t'obéir. Dis-moi qui tu es. Alors je t'écouterai, oui, tu berceras mon sommeil, tu guideras mes gestes. Je serai ton pantin au nez rouge, je bougerai quand tu actionneras mes ficelles. Je répèterai les mots que tu me glisseras à l'oreille. Je deviendrais aveugle mais je verrai les couleurs que tes yeux filtreront. Tu seras la sonde par laquelle je respirerai l'air que tu voudras bien m'offrir. Par pitié, ne m'effraie plus ainsi."
Grusso avait peur de la peur. C'était un mot qu'il avait effacé de son vocabulaire. Il cherchait toujours le détail drôle dans la tourmente, le détail qui dédramatise auquel il s'accrochait comme à un radeau. Quand il ne trouvait pas cette miette de légèreté, il se voyait mourir de panique, bouffé par les sables mouvants. Cette voix surnaturelle était teintée de malfaisance, rongée d'intentions mauvaises.
Un instant, Grusso crut enfin être tranquille. La casserole de raviolis n'était plus qu'une bouillie carbonisée. Il goûta au silence avec inquiétude. Quand elle lui parla de nouveau, il se retourna d'un bond. Le son de sa voix avait changé. Ses intonations étaient plus douces, mais toujours tâchées de perfidie.
"Qui crois-tu que je sois pour me sommer de te répondre? Ne me dois-tu pas le respect, un minimum de courtoisie? Ta peur m'amuse, je n'ai ici que peu de distractions. Enfermée dans cette baraque, la vie est d'un ennui! La visite d'un homme ne se refuse pas. Je suis celle que tu cherches. Trouve la lettre et tu te rendras à l'évidence. Je ne suis pas ta mère, pas cette femme soumise, mise à genoux par son mari. Moi, je n'ai jamais cessé de lutter. Quand elle baissait les bras, je lui faisais méditer sa vengeance. Lorsqu'elle baissait les bras, je lui redonnais du courage. je suis la femme libre qu'elle était, l'âme de l'être qui t'a enfanté. Aurais-tu peur de découvrir qui elle était, cette femme que tu n'as pas connue autrement que sous le joug des convenances? T'aurait-elle manqué ou te fait elle peur, elle, à l'image de tes fantasmes? C'est moi que tu es venu chercher, Grusso. je ne peux te dire où je suis. Franchis chaque étape, garde la tête froide et tu parviendras à moi. Ne me fuis pas, Grusso. N'aie pas peur. Il n'y a plus que toi qui mérite ici de me connaître. "
Cette fois, Grusso n'avait plus peur. Il redevenait un jeune garçon émerveillé, retrouvait en lui la force qui l'avait jusque là poussé vers l'avant. Sa soif de découverte, sa curiosité vorace reprenaient le dessus. Il saurait palper des doigts cette inconnue, la rassurer pour qu'elle se dévoile un peu plus. Muet comme une carpe, il ne dirait mot du secret à personne.

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