mardi 18 novembre 2008

Grock

Grusso n'en croyait pas ses yeux. Grock, le clown, était le premier à lui avoir fait confiance. Il n'y avait qu'à voir comment il le regardait, endormi dans son cadre et l'air pourtant si vivant. Cette affiche avait été créée pour lui, elle lui avait dicté sa vie. Il savait tout sur grock, sur ses numéros, son talent, il avait tout étudié. Il était devenu son mentor, Grusso lui dédiait chacun de ses spectacles.
Qui donc était ce père qui avait tout deviné? Il s'était enfui, le lâche. Comme il aurait pu être heureux à courir la France avec un artiste plutôt que de subir les commères de Lanvaux. Il en avait rencontré, des gens passionés, ces hommes, ces femmes à qui demain ne faisait pas peur. Pourquoi l'avait-on privé de ce bonheur?Tout était perdu, gaspillé à cause d'une vérité dissimulée.
Il ouvrit son portefeuille et en tira une image froissée. Il en avait ainsi des dizaines, planquées dans les tiroirs de son appartement, affichées sur ses murs. Grock, le clown triste. Le meilleur. le seul à avoir mélé l'humour et la tendresse, teinté de cette pointe de nostalgie. Lorsqu'il jouait ses numéros, il avait l'impression de dialoguer avec celui qu'on appelait le clown triste. En lui rendant hommage, il se sentait fier et minuscule, habité par l'esprit du clown disparu.
Il suffisait à Grock d'un geste, d'un silence pour captiver la foule quand Grusso s'épuisait à être toujours plus inventif. Grock n'avait qu'à lever un doigt et le public était déjà suspendu à son ongle, quémandant la suite, contemplant avec admiration ce personnage venu d'ailleurs, dont les larmes avaient laissé des rides sur la peau. Grock l'envouteur, le passeur de rêves, le magicien, le musicien, hypnotisait les adultes comme personne ne savait le faire.
Delui, Grusso avait tout appris, sans jamais avoir pu le rencontrer. Il était parti trop tôt...on part toujours trop tôt.
S'il avait eu un père, peut-être aurait-il su comment faire, répondre à ses questions. Grock avait rendu Grusso heureux, ils en avaient connu des fous rires, dans leur monde imaginaire.

Grusso continuait sa lecture, imperturbable, bercé par la voix grave de sa mère. Elle lui racontait des bribes de son enfance et des heures d'un bonheur inavouable.

"J'aime tant quand sa main frôle mon cou, quand tantôt elle l'agrippe, elle le violente. Délicatement il la retire et c'est sa langue que je sens, qui court sur ma nuque. Puis ses doigts qui me massent, ses cheveux qui me caressent...tout est si doux."

"Comme si nous étions perdus dans le brouillard, noyés dans le duvet de notre couette, lui, moi. Nous, nous ne faisons qu'un. Qu'un corps en apesanteur, libre dans l'air comme une bulle. Nous nous comprenons d'un battement de paupière, d'un pincement de lèvres. A quoi sert de parler? Il prend soin de moim'enrobe de ses sourires, m'épargne ses soupirs et ses excès de fatigue. Enfin, je peux le reposer. Lorsque le sommeil vient, je ne lutte plus contre lui. Je pose la tête sur son épaule, il couvre mon visage de sa paume. Je dors ainsi, à l'abri.
Mon mari, n'y peut rien. Lui aussi dort, mais sur ses lauriers. Je goûte à la liberté avec passion, avec addiction."

Grusso s'endormit lui aussi, balancé par le mouvement régulier du train. Il cru sentir la bouche de sa muère déposer un baiser sur son front. Il rêva. Il avait un père fort, un père beau, un père musclé; le plus beau des hommes. Ils se rencontraient sur une plage se saoulaient avec la mer, les mouettes. Il l'appelait papa et lui riait avec un timbre aussi léger que l'air. On dirait qu'ils seraient amis et qu'ils vivraient heureux jusqu'à la fin des temps.

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