vendredi 12 septembre 2008

CHAPITRE 3: LA LETTRE

(musique: Coldplay, A message)
Femme lisant une lettre face à une fenêtre ouverte
par Jan Vermeer, 1657, Jan Vermeer

Grusso secoua son sac par terre. Elle devait être là, perdue dans ce fatras inutile, au milieu du nez rouge et des ballons de baudruche. Il venait de s'en souvenir, en mastiquant une tranche de gruyère. Sa mère lui avait envoyé une lettre l'année passée, aux environs du mois d'octobre. Elle ne lui avait plus jamais écrit ensuite. Grusso l'avait alors lue avec attention avant de la ranger avec les autres dans une vieille boîte de Banania. Il était persuadé d'avoir fourré la boîte en fer dans sa valise, pris d'une inspiration soudaine.
Grusso remua ses factures de téléphone, des dessins d'enfants devant lesquels il aimait s'attendrir, des numéros de cirque griffonés sur du papier brouillon. Il envoya valser ses chaussures de clown dont il ne se séparait jamais à travers la pièce.
Sa fièvre grimpait, il gesticulait sans mettre la main sur cette foutue lettre. Ses membres s'agitaient tout seuls, il enchaina des mouvements incohérents puis stoppa net.
"Le triple fond" s'exclama-t-il! "Je n'ai pas vidé le triple fond!"
Il avait élaboré lui-même sa malle à triple fond mais pour accéder au dernier tiroir, il fallait avoir vidé les deux premiers. Lors d'un voyage en train, il avait mis une heure à retrouver son sandwich, l'estomac à l'agonie, et avait dû vider toute la valise pour accéder au troisième fond. Depuis, il évitait de l'utiliser. C'était sans compter la fois où le deuxième fond s'était coincé dans le troisième et qu'il lui avait été impossible d'attraper son maquillage avant une représentation. La malle était artisanale, peu fiable, mais il la trimballait avec fierté.
Grusso retourna la valise et la remua de toutes ses forces. Une panoplie d'objets hétéroclites s'éparpilla sur le parquet. Le triple fond s'ouvrit, laissant s'échapper la boîte jaune. Entre toutes les lettres, il trouva immédiatement celle qu'il cherchait. Ce papier rose jauni par le temps, usé par les années, ne serait plus tatoué par ses écritures. Sa mère était partie en silence, laissant les feuillets restants au fond d'un tiroir.
Grusso relut lentement la lettre, digérant chaque mot. Sa mémoire lui dictait la fin des phrases. Il connaissait presque chaque paragraphe par coeur, chaque parole de cette mère qu'il avait si peu connue. Jamais il n'avait répondu à ses courriers, jamais. Il ne savait pas quoi lui dire, elle était si loin. Une phrase était inscrite au dos, à laquelle il n'avait pas prêté attention. Elle semblait écrite à la hâte, sur ce verso nu de tout motif. Chaque syllabe résonnait comme un roulement de tambour.

1 commentaire:

Cafe Castor a dit…

J'ai adoré ce moment de lecture ce votre blog. Une belle écriture!