jeudi 25 septembre 2008

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(musique: Rammstein)
Grusso lut la lettre deux fois, retenant le tremblement de ses mains. Il n'avais jamais su que penser de cette mère distante, avait préféré éclipser la question et disparaître. En silence, il avait supporté les humeurs de sa mère, ses excès de caresses comme sa stupéfiante froideur. Il ne lui reprochait rien. Il avait été heureux, durant toutes ces heures où il rêvassait à la fenêtre. il avait encaissé sans broncher les sourires de sa mère quand on lui parlait de ses fins méritants, promis à un avenir glorieux et cette moue dépitée quand on lui demandait pourquoi Jean-Claude était le seul à trainer de la patte. Il avait appris à esquisser un rictus poli quand on suggérait qu'il consulte un psychologue. Non, il n'en voulait pas à sa mère. C'était après ces gens autour de lui, à leur fausseté, à leur dédain qu'il en avait.
Grusso voulait d'autres explications. Il était différent, mais pas à cause d'une tare quelconque. Cette seule certitude lui avait donné la force de vaincre toutes les insultes. Sa mère n'y croyait pas non plus, cette assurance l'avait lié à elle jusqu'à la fin. Il avait su chercher ailleurs ce qui lui avait manqué, la confiance qu'il n'avait enfant reçu de personne.
La lettre contenait un second feuillet. Grusso l'approcha de ses yeux. Un plan était dessiné au crayon de papier, patiemment tracé à la règle. Il représentait le premier étage de la maison. Dans la chambre, l'armoire était marquée d'une croix. Au bas de la page, une inscription interpella Grusso:
"Souviens-toi de ton tour. personne d'autre que toi ne peux trouver. Ta malle à triple fond était une invention géniale."
Armoire, vide, armoire pleine...la malle. En un éclair, il comprit. L'espace d'une seconde, il vit enfin le noeud défait, il tenait du bout des doigts l'extrémité d'une solution. Il jeta un oeil complice à la malle qui trainait. Ses yeux rencontrèrent l'armoire. Une armoire à triple fond, comment n'y avait-il pas songé plus tôt?

jeudi 18 septembre 2008

Confidences


Confidences

(musique: Keren Ann)
Mon fils,


J'ai passé des années à me sentir tantôt proche de toi, tantôt effrayée. Tu as senti que j'étais différente avec toi. Tu en as souffert, je le sais bien. ils étaient de loin tes aînés. Le tracas que me causait leurs études, leur avenir, me faisait te laisser seul des journées entières. Tu n'avais personne avec qui jouer et rire, toi qui ne disait rien. Tu ne bronchais jamais, ces jours de pluie où tu passais des heures à compter les gouttes qui s'écrasaient sur les vitres.

Je m'affairais, je préparais le repas, lavais, brossais pour que rien de manque. Tu ne posais pas de problèmes, tu ne pleurais pas et cela m'arrangeait bien. Quand je les voyais au village ces femmes aux maris absents, courir après leurs mioches intenables.

Tu étais différent. A l'école, les autres ne t'approchaient pas. Au bac à sable déjà, ils te laissaient de côté lorsque tu batissais avec une sagesse toujours exemplaire le palais de tes rêves. As-tu enfin réussi à le construire, ce chateau?

Tu m'as donné peu de nouvelles depuis ton départ pour Paris. Tu m'as posé peu de questions. A tous ceux qui m'en ont posé, je n'ai pas répondu. Mais toi, mon fils, tu dois savoir pourquoi tu n'as pas ce qu'ils ont. Tu dois comprendre ce joyau qui t'habite et dont ils sont privés.

Je t'ai menti, je n'éprouve aucune honte à te l'avouer. J'avais passé l'âge de la vérité, mes illusions s'étaient éteintes. Tu me blameras, puis à ton tour tu me donneras raison. Peut-être ne me pardonneras-tu pas, en cela aussi tu saurais être unique. Car crois-moi tous acceptent d'être trompés, par peur du changement.

Je t'ai aimé mon fils et puisque je connais ton nom de scène, puisque je t'ai regardée plus que tu ne m'as vue, je t'appelerai Grusso. Ceci est mon journal. Le récit d'une femme qui t'était inconnue et que tu voyais nue lorsque nous prenions notre bain ensemble. Tu était si jeune, t'en souviens-tu? C'est l'histoire d'une mère froide et distante que tu as pu juger indigne, mais qui t'as aimé plus que de raison. Lis-la pour me faire exister, lis-la pour retrouver tes racines, lis-la pour te donner la force de continuer. C'est aussi ton histoire.

lundi 15 septembre 2008

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"Sur mon bureau ce qui t'es réservé à toi seul, mon tout petit, mon garçon. Tu comprendras puisque tu es mon fils."
Grusso eut un haussement de sourcils. Une fois de plus, il n'était pas à la hauteur. Sa mère lui prêtait trop d'intelligence, elle savait bien que ses frères étaient plus malins pour résoudre les énigmes.
"Son seul fils", qu'entendait-elle par là?
L'attention qu'elle avait porté à ses frères, cette façon qu'elle avait de regarder Grusso de loin et de réserver ses caresses aux autres n'était-elle qu'un mensonge?
Grusso remonta dans la chambre de sa mère. Il trouva sur le bureau une missive posée en évidence. Il ne l'avait pas vue alors qu'il s'acharnait sur l'armoire, trop occupé à lui faire cracher son secret. Le bas de la page ne portait aucune signature, l'entête n'était même pas daté. Grusso reconnut l'écriture rapide qui ne ressemblait à celle dont il avait l'habitude. La main qui avait écrit cette lettre souffrait de la même agitation, la même inquiétude que celle qui avait griffoné la phrase au verso du dernier courrier.

vendredi 12 septembre 2008

CHAPITRE 3: LA LETTRE

(musique: Coldplay, A message)
Femme lisant une lettre face à une fenêtre ouverte
par Jan Vermeer, 1657, Jan Vermeer

Grusso secoua son sac par terre. Elle devait être là, perdue dans ce fatras inutile, au milieu du nez rouge et des ballons de baudruche. Il venait de s'en souvenir, en mastiquant une tranche de gruyère. Sa mère lui avait envoyé une lettre l'année passée, aux environs du mois d'octobre. Elle ne lui avait plus jamais écrit ensuite. Grusso l'avait alors lue avec attention avant de la ranger avec les autres dans une vieille boîte de Banania. Il était persuadé d'avoir fourré la boîte en fer dans sa valise, pris d'une inspiration soudaine.
Grusso remua ses factures de téléphone, des dessins d'enfants devant lesquels il aimait s'attendrir, des numéros de cirque griffonés sur du papier brouillon. Il envoya valser ses chaussures de clown dont il ne se séparait jamais à travers la pièce.
Sa fièvre grimpait, il gesticulait sans mettre la main sur cette foutue lettre. Ses membres s'agitaient tout seuls, il enchaina des mouvements incohérents puis stoppa net.
"Le triple fond" s'exclama-t-il! "Je n'ai pas vidé le triple fond!"
Il avait élaboré lui-même sa malle à triple fond mais pour accéder au dernier tiroir, il fallait avoir vidé les deux premiers. Lors d'un voyage en train, il avait mis une heure à retrouver son sandwich, l'estomac à l'agonie, et avait dû vider toute la valise pour accéder au troisième fond. Depuis, il évitait de l'utiliser. C'était sans compter la fois où le deuxième fond s'était coincé dans le troisième et qu'il lui avait été impossible d'attraper son maquillage avant une représentation. La malle était artisanale, peu fiable, mais il la trimballait avec fierté.
Grusso retourna la valise et la remua de toutes ses forces. Une panoplie d'objets hétéroclites s'éparpilla sur le parquet. Le triple fond s'ouvrit, laissant s'échapper la boîte jaune. Entre toutes les lettres, il trouva immédiatement celle qu'il cherchait. Ce papier rose jauni par le temps, usé par les années, ne serait plus tatoué par ses écritures. Sa mère était partie en silence, laissant les feuillets restants au fond d'un tiroir.
Grusso relut lentement la lettre, digérant chaque mot. Sa mémoire lui dictait la fin des phrases. Il connaissait presque chaque paragraphe par coeur, chaque parole de cette mère qu'il avait si peu connue. Jamais il n'avait répondu à ses courriers, jamais. Il ne savait pas quoi lui dire, elle était si loin. Une phrase était inscrite au dos, à laquelle il n'avait pas prêté attention. Elle semblait écrite à la hâte, sur ce verso nu de tout motif. Chaque syllabe résonnait comme un roulement de tambour.