
[Times photo: Lara Cerri] : Cirque du soleil
(musique: Benjamin Biolay)
(musique: Benjamin Biolay)
Sitôt le feu passé au vert, Grusso démarra en trombe. Ce matin pas de patience, ni de courtoisie au volant. France Bleu lui bassinait les oreilles depuis une heure avec son point route. Toutes les cinq minutes, il annonçait cinq minutes d'embouteillages supplémentaires. Les panneaux lumineux sur l'autoroute clignotaient comme autant d'annonciateurs de mauvaises nouvelles et une fois passée la bretelle de sortie, les feux passaient au rouge. Il pilla devant une petite vieille, qui traversait laborieusement. La cause des sans-abris, celle des retraités sans le sous, celle des handicapés, Grusso avait tout plaidé. Mais ce matin, ce n'était vraiment pas le moment. D'ailleurs la vieille n'avait pas l'air si grabatère que cela, elle réagit au quart de tour:
" Et la courtoisie au volant, tu te la met où?"
Grusso se gara enfin sur un parking quasi vide. Il fit un saut pour sortir du véhicule, oublia de fermer la voiture et courut vers le chapiteau. Antonio l'avait appelé d'urgence. Grusso répondait toujours. Disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, accourant toujours dans la minute, telle était sa règle d'or. Pas une fois il ne s'était permis d'y déroger.
Une famille l'attendait sur un banc, alignée en rang. La mère avait les mains timidement posées sur les genoux, les deux filles n'osaient pas se lever. Elles regardaient l'envie qui revenait à leur âge un groupe d'enfants qui s'exerçaient au trapèze. Mains sur la barre, pieds se balançant dans le vide, ils donnaient l'impulsion pour atteindre une barre plus haute. L'atteindre était leur défi, un objectif bien minime pour ces gosses qui en avait vu plus d'une. Tomber ne leur faisait plus peur.
Antonio s'éloigna du groupe quelques minutes, en gardant tout de même un oeil lointain sur lui. Il murmura deux mots à l'oreille de Grusso puis repartit. Tous deux savaient ce qu'ils avaient à faire. Le clown lança un regard se voulant rassurant à la famille postée sur le banc, silencieuse, désespérée.