mercredi 29 octobre 2008

Retour à Paris

(musique: ayo)

Grusso grimpa dans le TER, soulevant avec peine son énorme valise. Il la laissa à l'entrée du wagon, l'étiquette portant son nom bien en vue. Il s'installa à l'écart et, n'y tenant plus, ouvrit enfin le journal de sa mère. Le volume n'était pas assez imposant pour raconter une vie, juste assez pour dévoiler une vérité. Embourbé dans les traces de sa mère, Grusso ne s'occupa plus des kilomètres qui défilaient, ni de ses voisins bruyants, ni du tintamarre du train bringuebalant.
Le journal commençait par une note brève destinée à un lecteur inconnu.

15/09/1969

J'ai passé des heures à écrire, à réfléchir sur ce qu'a été ma vie. Probablement rien de plus qu'une suite de hasards. Elle fut parfois heureuse, bien sûr, à chaque jour suffit sa peine. J'ai vécu discrète, en cachant ma véritable nature. Il en y aurait eu plus d'un qui auraient été étonnés. Je n'ai pas honte de ce que je suis, de ce que j'ai fait, les regrets sont absents de mon dictionnaire.
Je vis dans l'impulsion, elle m'étourdit. L'instant présent m'ennivre, la sensation fait trembler mes muscles. Non, je n'ai jamais voulu de cette existence limpide. Et pourtant, en apparence, n'est-elle pas ainsi, ma vie? J'ai bien failli sombrer à plusieurs reprises dans ce travers, je l'avoue. J'ai été à deux doigts d'être emprisonnée par mon mari, par mes gosses, comme toutes ces femmes. Une bonne femme à la maison? JAMAIS! Une bonne grosse matronne, tuée par l'effort, humiliée par ses hommes, JAMAIS!
J'en ai croisé des beaux garçons, juste assez pour me tirer de ce mauvais pas. Je n'ai pas mis le pied à l'étrier, ma main dans l'engrenage, j'en éprouve une certaine fierté. Les pressions sont si grandes, pour nous forcer à nous ranger.
Grusso, tu es né. Tu aurais pu être mon calvaire, tu fus ma liberté. Mon petit, je t'ai mal aimé car en la matière je débutais. Mais pardonne-moi, pense à tous ceux que je n'ai pas aimé du tout.

Les pages se succédaient ensuite, tantôt anthracites de rage, tantôt simplement gratifiées d'un mot sur une ligne vierge. Elle en avait accouché dans la douleur ou dans l'extase, mue par une folle passion d'écrire, habitée par cette obsession. Le journal démarrait peu après la naissance de Grusso. Parfois, elle n'y avait pas écrit pendant des jours voire des années. Puis de nouveau, elle se vidait de tout son saoul, sa plume tempétant et faisant s'envoler les feuilles pour évacuer la tourmente. Elle accouchait de la petite fille déraisonnée qui dans son coeur ne tenait plus en place, ne connaissant aucun carcan.

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