mercredi 9 juillet 2008

*** (musique: Sébastien Schuller)

Lanveaux et ses fermes éparpillées dans la vallée, son église où l'on rejette l'étranger, ses ménagères commères et médisantes, Grusso ne les avait jamais aimés. Ici, le grand clown Grusso n'existait pas. Pour tous, il était Jean-Claude, petit garçon jadis timide et maladroit. Il avait grandi dans l'ombre de ses frères, sans cesse comparé à eux. On le prenait pour un incapable, un idiot du village. On s'adressait à lui avec douceur mais les vipères n'avaient de cesse que de se moquer de lui.
Ce trou perdu de Bretagne, avec ses toits de chaume et ses relents de crêpes, Grusso n'y avait pas remis les pieds depuis quinze ans, date à laquelle il avait emménagé à Paris. Seuls lui manquaient le son des vagues s'écrasant avec fracas sur les rochers et l'odeur de l'écume picotant ses narines. Les cris des mouettes, les heures passées à rêver allongé sur la plage, lui semblaient les rares souvenirs heureux de son enfance. Dans la solitude, il avait trouvé le réconfort et le temps de se construire. A la moindre occasion, il s'empressait de fuir les habitants aux manières rustres et aux moeurs étroites.
Alors que Jean-Claude avait disparu, ils jacassaient encore, cela ne faisait aucun doûte. Ils se demandaient tous ce qu'il pouvait bien faire à Paris, caissier dans un supermarché ou la manche dans un sale couloir de métro. Le reste n'était pas à sa portée. A trente-cinq ans, il était le sujet de bien des conversations à Lanveaux, mais personne ne pouvait se vanter de le connaître. Chacun y allait de sa suggestion, de sa plaisanterie souvent de mauvais goût, puis terminait en louant les mérites de ses deux frères qui décidément avaient réussi dans la vie.
Paul et Louis avaient ouvert un cabinet d'expertise comptable en ville, étaient mariés à des filles de la région et revenaient régulièrement au village. Généralement en costume trois pièces, ils imposaient le respect et puaient l'argent. Ils attiraient les regards et la convoitise. Sur le plan sentimental, Grusso s'était encore démarqué. Jamais on ne l'avait surpris trainant avec une fille dans les champs. Le pauvre, avec son intelligence déficiente et son physique peu avantageux, possédait peu d'atouts pour séduire. Il y avait bien eu Mélia, la seule à avoir été sincèrement attendrie par ce garçon maladroit. Mais leur brève histoire n'avait fait qu'attiser les moqueries, car Mélia était métisse, née d'un couple mixte qui avait bien du mal à se faire accepter.

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