lundi 7 juillet 2008

CHAPITRE 1 L'ENTERREMENT (musique: José Gonzales)



Grusso sortit de l'assemblée et s'avança de manière à ce que toute la famille puisse le voir et l'entendre. Il n'avait préparé aucun discours, contrairement à ceux qui l'avaient précédé. Sa cravate était maladroitement nouée, il n'avait pas l'habitude de ce genre d'accessoire. Il s'était acheté un pantalon noir pour l'occasion, qui lui serrait les cuisses. Il crispa ses poings pour refouler son irrépressible envie de tirer dessus pour le remonter. Tout le monde le regardait avec un mélange de pitié et de moquerie.
"Le bougre a fait un effort", devaient-ils tous être en train de penser. Il avait laissé ses braies à bretelles au placard, s'évertuait à marcher en maintenant ses pieds parallèles. Grusso détestait les souliers noirs à talonettes, qui compressaient les orteils plus qu'ils ne les laissaient respirer. Il inspira longuement et souffla l'air par petites bouffées. Il avait le trac comme avant de monter sur scène. Il savait danser et jouer à merveille, mais s'adresser à un public sobre n'ayant pas la moindre prédisposition au rire outrepassait ses capacités.
Il atteignit enfin le pupitre placé à son intention à côté de la tombe. Il ne voulait pas croiser les yeux des autres qui l'avaient toujours considéré avec dédain. Enveloppées dans leur châles noirs, les femmes se ressemblaient toutes. Sagement alignées, elles se taisaient par respect mais leur babillage futil ne tarderait pas à reprendre, sitôt la fin de la cérémonie annoncée. Il en avait toujours été ainsi dans le village. Tout le monde se connaissait, s'entraidait dans l'urgence mais néammoins se haïssait. Combien de commentaires méchants Grusso avait-il surpris, caché sous le rebord d'une fenêtre à écouter les interminables réunions des habitantes de Lanveaux. Ces rendez-vous hebdomadaires consistaient à médire sur les absents puis à insulter officieusement sa voisine de table, une fois les mondanités terminées.
Grusso refoula une envie de rire, en les voyant attroupés de la sorte, eux qui n'avaient jamais éprouvé que de la condescendance et du dégoût à l'égard de sa mère. Ils feignaient la tristesse, comme le dicte la tradition. Puis ils iraient tous se goinfrer aux frais de la famille et, repus, s'échangeraient les derniers ragots, les histoires sordides pas encore sorties du placard. A Lanveaux, les secrets ne faisaient décidément pas long feux.

referencement

Aucun commentaire: